Boulet City II, le retour du fils de la vengeance
(il revient…et il est super lourd)
Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, je considère que la vie serait vachement plus chiante si je ne pouvais pas aller remuer de temps en temps du popotin sur les dance floors. Certains fument ou boivent, font du sexe, vont au cinéma ou s’abrutissent devant les émissions de télé-réalité : chacun sa drogue, moi c’est – entre autres – danser, et comme toute pratique hautement addictive, celle-ci présente ses risques et ses effets secondaires non souhaités et gênants (oui, je m’amuse à lire les notices des boîtes de médicaments quand j’ai rien d’autre sous la main, ça laisse des séquelles au niveau du vocabulaire).
L’inconvénient majeur de pratiquer la danse ailleurs que dans son salon, c’est que beaucoup de gens confondent les boîtes de nuit et les soirées avec un supermarché ou un fast-food. D’où le nombre, parfois impressionnant, de ce que nous appellerons pudiquement les Morts de Faim, ou MDF (notez qu’à une lettre près, ça donne MLF – ou MDR – mais malheureusement, rien de comparable, car ça n’a rien de drôle, et encore moins de libérateur pour la femme. Hélas).
Qu’est-ce qu’un Mort de Faim ? La définition reste vaste et imprécise, car le MDF est multiple et polymorphe, ce qui le rend difficile à la fois à répertorier et à éviter. Nos chères amies Mistinguette et Bady nous en ont déjà évoqué quelques uns, avec le brio qu’on leur connaît. Cependant, penchons-nous aujourd’hui sur quelques exemples rencontrés et étudiés in vivo ce week-end, à savoir sur la piste de danse d’une soirée que nous qualifierons de gothique (la précision est importante pour la compréhension de la suite, si, si. Ou pas).
Notre premier spécimen s’est vu affublé du charmant sobriquet de Monsieur Ankh, ce qui est tout de même plus sympa que Georges ou Roger, disons. Monsieur Ankh, comme son nom l’indique, arbore fièrement un t-shirt avec une magnifique croix égyptienne (ou bien un pendentif en argent, c’est selon son humeur). Et comme son nom ne l’indique pas, un regard à faire pâlir le bovin moyen qui regarde passer les trains, le sourire niais du mec qui n’est jamais redescendu de son dernier trip d’acide en 1995, du maquillage qui coule et une calvitie précoce.
Monsieur Ankh hante la piste toute la soirée, pourtant il ne danse pas, à moins que sa démarche vacillante et mal assurée d’homme ivre ne constitue son seul talent en la matière (ce qui est bien possible). Monsieur Ankh, donc, ne danse pas. En revanche, il drague – du moins, il tente, ou alors c’est un rituel de socialisation dont les codes sont encore inconnus de tout le monde à part lui (ce qui est possible aussi). Ses méthodes sont d’une simplicité et d’une inefficacité désarmantes : se coller à moins de trente centimètres de la victime non consentante, bras ballants et sourire béat, de préférence dans son dos pour qu’elle n’ait même pas la possibilité de se retourner pour se soustraire à sa vue.
Méthode préconisée pour le repousser : danser collée-serrée avec la première âme charitable qui se présente à vous – souvent une autre victime du monsieur, car il n’est guère regardant sur la quantité – et ce, jusqu’à ce qu’il se lasse et parte en quête d’une autre proie. Qualités appréciables dans ce genre de situation : beaucoup de patience, car Monsieur Ankh est tenace et capable de revenir à la charge pas moins de vingt fois dans la même soirée, un regard hautain et méprisant (n’est-ce pas, Ana ?), voire ne pas avoir peur de rouler sauvagement une pelle à la personne avec qui vous êtes en train de danser.
Avec un peu de chance, il vous lâchera sur le coup des quatre heures du matin (mais vous ne savez pas si c’est parce qu’il s’est enfin résigné, ou si c’est parce qu’il est trop saoul pour persévérer). Et si vous êtes très chanceuse, Monsieur Ankh aura même trouvé une partenaire la prochaine fois que vous le verrez. Si, si, ça a été constaté, apparemment il existe des spécimens féminins suffisamment altruistes (ou désespérés) pour envisager de se reproduire avec lui, notamment en soulevant carrément sa jupe sur la piste de danse en face de lui – et de vos yeux horrifiés : si ça se trouve, dans vingt ans, votre fille (ou votre fils) aura à traiter avec la nouvelle génération. My Dave.
Le second spécimen de MDF se déplace en banc, comme les sardines. Inoffensif au premier abord, sa chemise sobre, son pantalon sage et son look de crevette anémiée passent quasiment inaperçus aux yeux de la proie innocente et néophyte en matière de boulets. Il pourrait même sembler sympathique, avec son air un peu perdu de celui qui s’est fourvoyé dans une soirée dont il ne connaît visiblement pas les codes.
Et c’est bien là qu’est le drame, l’erreur fatale qui peut vous perdre et gâcher sa soirée (et accessoirement la vôtre). Car ce MDF là ne sait visiblement pas ce qu’est une soirée goth. Et malheureusement pour vous, ce qu’il en a entendu n’a manifestement rien de flatteur pour les gens qui les fréquentent. Ce MDF là est venu ici parce qu’on lui a dit que les filles étaient sexy et généralement fort peu vêtues – ce qui est souvent vrai – qu’elles dansaient de façon provocante et aguicheuse – ce qui l’est aussi – que les gens y étaient la plupart du temps bourrés comme des coings – ce qui est toujours vrai – et que ça passait son temps à se rouler des galoches sur la piste de danse – une fois de plus, souvent véridique. Ce MDF en a donc conclu que ça baisait dans tous les coins et que les filles étaient de vraies chaudasses, en somme des proies faciles à lever. Ce qui est, bien évidemment et hélas pour lui, totalement faux.
Ainsi donc, la force du préjugé et l’image encore peu reluisante d’un milieu toujours méconnu du citoyen lambda a poussé ce MDF en manque de sensations fortes et piqué par une curiosité malsaine à venir s’aventurer dans des contrées qu’il imagine excitantes et dangereuses. C’est de cette façon qu’il se retrouve, en compagnie de ses copains d’infortune, au milieu d’une piste de danse envahie par d’étranges créatures en noir qui se déhanchent lascivement au son d’une musique barbare, à se demander ce qu’il fout là et à siroter nerveusement sa bière (il n’a que peu confiance dans les cocktails délirants qu’on lui a proposé au bar). Mais après tout, il est là pour tirer, et puis, c’est un mec, oui ou merde ?
Ce MDF finit donc par se décider à passer à l’action. Comme il est courageux mais pas téméraire, il optera néanmoins pour la prudence : n’osant pas s’approcher de cette grande perche hystérique juchée sur talons aiguilles et vêtue d’un corset en vinyle par trop extravagant (et dont il n’est même pas sûr qu’il s’agisse d’un garçon ou d’une fille, même si en réalité ça le fait fantasmer à mort), il préférera reporter son attention sur vous et vos amies, celles dont les vêtements et le maquillage seraient presque sages en comparaison. La solution de facilité, celle qui rassure parce que plus proche de sa normalité à lui. Et comme il veut être certain de ne pas louper son coup, il n’agit pas seul (pour se prendre un râteau et se faire humilier, et puis quoi encore ?).
Méthodes de drague utilisées : l’encerclement à plusieurs et l’attaque pieuvresque. Décrivons le processus : tout en continuant à boire sa sempiternelle bière, le MDF en banc se rapproche insidieusement de sa victime, tout en se dandinant mollement pour leurrer son adversaire et lui faire croire qu’il danse, et par un habile mouvement tournant de ses troupes (ses potes MDF, donc), parvient à acculer sa proie à l’intérieur d’un cercle, ce qui a pour conséquences de l’empêcher de s’échapper avec une pirouette. Puis vient la seconde phase du processus : le MDF a remarqué que la victime aimait danser en se collant à ses partenaires, il pense donc pouvoir profiter impunément de cette capacité au contact facile et passer à l’attaque. La proie aura donc la désagréable surprise de sentir sur son popotin des doigts non désirés, ou encore une paire de bras encercler sa taille (toujours par derrière, car le MDF a en commun avec ses congénères de ne jamais attaquer de face, comme le grand courageux qu’il est).
Méthode préconisée pour le repousser : la baffe dans la gueule. Malheureusement, ce n’est pas très politiquement correct et pourrait gâcher l’ambiance festive de la soirée. Le mieux reste encore de repousser le spécimen poliment mais fermement, en joignant éventuellement le geste à la parole : comme le MDF n’a bu que de la bière, il n’est peut-être pas encore assez bourré pour ne pas comprendre le mot « non ». Cela aura pour avantage de vous assurer une relative tranquillité (jusqu’au prochain boulet), en revanche le MDF repartira frustré en répétant à qui veut l’entendre que les gothiques ne sont que des salopes et des allumeuses. Tout bien réfléchi, ce n’est pas une grande perte, car s’il était parvenu à ses fins, il aurait répété à qui veut l’entendre que les gothiques ne sont que des salopes (encore) et des filles faciles. Qualités appréciables dans ce genre de situations : un petit copain ou un ami qui fera office de garde du corps (surtout s’il est costaud et mesure plus d’1m90), et qui rendra possible et plus efficiente l’option roulage de pelle – le faire avec une amie peut s’avérer à double tranchant, le MDF risque s’apprécier le spectacle et de se sentir émoustillé, à moins que vous ne réussissiez à lui faire comprendre que vous êtes réellement lesbienne et pas bisexuelle adepte des plans à trois, ce qui n’est pas forcément gagné.
Le troisième spécimen de MDF observé sera surnommé Monsieur Sans-Gêne. Monsieur Sans-Gêne n’est pas vraiment méchant, il n’est pas non plus un newbie qui découvre les soirées goth. C’est juste un mec un peu paumé qui doit probablement se sentir un peu trop seul et qui cherche désespérément à parler avec quelqu’un – ou bien alors ça fait juste six mois qu’il n’a pas trempé sa nouille et comme il n’est pas affublé d’un physique très avantageux ni d’un look très délirant, il en est réduit à essayer de draguer par la parole. Ce qui serait une très bonne idée, s’il avait trouvé une accroche un peu subtile. Ce qui, hélas, vous vous en doutez bien, n’est pas le cas.
Méthodes de drague utilisées : s’immiscer dans la conversation de ses victimes en tentant de paraître drôle et sympathique – mais sans même s’excuser, saluer ou se présenter, ce qui gâche un peu l’effet. Lorsqu’il voit qu’il ne récolte que des haussements de sourcil incrédules, il décide de passer à la vitesse supérieure et de carrément vous prendre pour la serveuse du bar en vous demandant de lui commander un verre. Technique secrète spéciale : la phrase d’accroche la plus nulle jamais entendue en plus de huit ans de soirée goth, à savoir « excuse-moi, je ne voudrais pas passer pour le gros dragueur lourd de base, mais ta casquette de l’armée russe, tu l’as trouvée où ? » (oui, donc, vous l’aurez compris, c’est tombé sur moi).
Méthodes préconisées pour le repousser : l’ignorer purement et simplement. En cas d’attaque frontale (vous noterez que celui-là a au moins la décence de venir vous parler en face – cela dit, comme il vous coince entre lui et le bar, il n’a guère de mérite), répliquez « je ne sais pas, cette casquette/cette cravate/cette chemise/etc. est à mon mec » et barrez-vous, votre verre à la main, sans un regard pour lui. Vue la tronche qu’il tire à la mention de l’existence d’un petit ami, vous pouvez être sûre qu’il n’en a strictement rien à branler de la provenance de votre casquette. Vous aurez été impolie, mais au moins celui-là vous laissera tranquille pour le reste de la soirée. A noter : l’existence effective d’un petit ami présent à la soirée, ou d’un ami pouvant faire office de leurre, est hautement recommandée si vous souhaitez éviter les regards noirs et haineux à chaque fois que vous repasserez devant lui (et qu’il aura enfin réussi à se payer sa vodka, l’alcool rendant parfois mauvais).
La prochaine fois, si vous le voulez bien, nous aborderons le sujet de l’ex bourré encore amoureux de vous qui vous fait une crise de jalousie alors que vous sortez des toilettes.
C’était Myschka, en direct de Boulet City, à vous les studios.